Qu’est-ce qu’un fonds souverain?

Ratan Tata, industriel indien, a racheté en mars 2008 deux fleurons de l’industrie automobile britannique, Jaguar et Land rover pour 2,5 milliards de dollars. On ne peut pas s’empêcher de savourer avec lui ce moment quand on sait que son grand-père, avant l’indépendance, s’était vu refuser l’entrée dans un hôtel à Bombay par les Britanniques du fait de sa couleur de peau…En réponse à cette avanie, le grand-père avait d’ailleurs fait bâtir le Taj Mahal Palace, l’hôtel le plus beau de la ville.

Cette anecdote illustre parfaitement ce qui est en train de se produire en notre bas monde : le Sud se paye le Nord. Et encore ne s’agit-il ici que d’un industriel aux marges de manœuvre financière somme toute réduites par rapport aux nouveaux géants de la finance que sont les FONDS SOUVERAINS !

Que l’ex-Tiers Monde – eh oui depuis l’effondrement de l’URSS, l’expression Tiers-Monde inventée par l’économiste français Alfred Sauvy en 1952 n’a plus de sens – que l’ex-Tiers-Monde, disais-je, finance les pays occidentaux n’est pas nouveau en soi. En effet comme j’ai pu brièvement l’exposer dans l’article précédent « Quand les rivières coulent de la mer vers les montagnes », il est un fait que d’un point de vue macroéconomique, à quelques exceptions près, les capitaux n’ont eu de cesse de couler des pays pauvres vers les pays riches…et ce pour caricaturer depuis le premier voyage de Christophe Colomb ! Il est cocasse de souligner une fois de plus que ce sont les pays qui comptent le plus de pauvres sur notre planète qui désormais créent le plus de richesses. La Chine, l’Inde et la Russie sont à l’origine à eux trois de la moitié de la richesse mondiale créée chaque année! Ces pays, la Chine en tête, financent ensuite le train de vie démesuré des Occidentaux, Américains en tête (les Chinois sont les premiers banquiers des Etats-Unis avec 450 milliards de dollars de créances), Américains qui ne vivent plus qu’à crédit, pour acheter la production chinoise…la boucle est bouclée.

Mais aujourd’hui, c’est un fait nouveau qui apparaît : les pays qui ont de l’argent à investir, soit du fait de leurs colossaux excédents commerciaux (la Chine), ou de la hausse du prix du pétrole et autres matières premières (pays du Golfe, Russie, etc), – et qui ont constitué avec cette manne ce qu’on appelle donc fonds souverains (SWF : Sovereign Wealth Fund) – ne se satisfont plus de titres de créances des pays occidentaux, ils veulent des titres de propriété et ainsi devenir actionnaire ! En clair, acheter de la dette américaine, ça va un temps (surtout quand le dollar n’arrête pas de se déprécier!), maintenant ces pays veulent acquérir des biens, de l’immobilier, des entreprises, high tech si possibles, avides de technologies qu’ils sont !

Cette tendance s’est amplifiée depuis l’éclatement de la bulle immobilière américaine l’été dernier : les grandes banques américaines ayant trop prêté à des ménages peu solvables ont dû assumer au final les défauts de paiement. Concrètement elles ont dû rapatrier dans leur bilan des créances qu’elles avaient externalisées. Or plus une banque détient de créances plus elle doit avoir de fonds propres pour respecter ce qu’on appelle les ratios prudentiels. Elles se sont donc rapidement retrouvées décapitalisées, et donc à la recherche de capitaux. Et ce sont les banques américaines elles-mêmes qui ont sollicité les fonds souverains, ces investisseurs providentiels ! Ainsi la deuxième banque d’affaire américaine Morgan Stanley a été sauvée grâce aux 5 milliards de dollars d’investissements du China Investment Corp, le fonds souverains chinois qui serait de doté de 200 milliards de dollars. Le plus gros fonds, c’est celui des Emirats Arabes Unis, Adia, qui gère 875 milliards de dollars, et qui a pu prendre une participation de 4.9% dans Citigroup, qui a été pendant longtemps la première banque américaine et qui reste la première marque mondiale, en y investissant 7,5 milliards de dollars, soit la production de pétrole d’une vingtaine de jours. En France par exemple, le fonds souverain norvégien, dépositaire de la manne pétrolière évaluée à 300 milliards de dollars, est le deuxième actionnaire du CAC 40, le premier actionnaire étranger après CNP Assurance. En Allemagne, pire, 53% de la valeur des trente premières entreprises est aujourd’hui en 2008 détenue par des actionnaires étrangers, et dire que c’était moins de 50% en 2005!

Ces fonds souverains, techniquement des fonds public de placement, ne sont pas nouveaux, pour tout dire le premier est apparu en 1953. Ils ont pour mission de placer tantôt l’épargne du pays, tantôt les pétrodollars, dans une optique de long terme. Ils recherchent la stabilité et une rentabilité raisonnable (…a priori), à la différence des « hedge funds », ces fonds d’investissement spéculatifs qui ne gardent les titres qu’ils achètent que pendant deux mois en moyenne tout en exigeant des retours sur investissement de l’ordre de 20% ! S’ils se font plus remarquer aujourd’hui, c’est surtout du fait de leur nationalité extra-occidental et de leur capitalisation : en 1990 ils ne représentaient « que » 500 milliards de dollars, aujourd’hui ils valent 3000 milliards de dollars (soit assez pour acheter tout le CAC 40), et certains experts tablent sur 15000 à 20000 milliards en 2012, assez pour acquérir les 400 plus grandes entreprises américaines !

Voilà pour le tableau ! Maintenant qu’en est-il des réactions ? Certains les accueillent à bras ouverts, dont les banques on l’a vu, leurs détracteurs s’en méfient comme de la peste, leur prêtant les plus mauvaises intentions prédatrices. Comme tout phénomène humain n’est jamais ni tout noir, ni tout blanc, voici un petit panorama de leurs principales caractéristiques classées en avantages et craintes, ensuite au lecteur de se faire son avis!

Avantages et points positifs :

  • Voici par exemple ce que dit Bader Al-Saad, directeur de la Koweit Investment Authority (213 milliards de dollars de capitalisation) : « Nous sommes des investisseurs passifs positionnés sur le long terme. Nous sommes très régulés : je vais devant le parlement trois à quatre fois par an. Nous n’avons aucune directive politique pour nos investissements. Nos objectifs sont uniquement financiers. »
  • Beaucoup de fonds ne demandent pas à siéger au conseil d’administration, ce qui signifie qu’ils ne cherchent pas ni ne peuvent alors influer sur la stratégie des entreprises.
  • En sauvant les banques américaines, ils ont sauvé le système financier international et se sont révélés être en fin de compte d’incontournables éléments stabilisateurs.
  • Les Chinois, que beaucoup craignent, n’ont en fait pas de visées impérialistes, sauf pour le Tibet, Taïwan, et en ce qui concerne leur approvisionnement en matières premières. Ils n’ont donc aucune raison de vouloir racheter tout Wall Street.
  • On dénonce leur manque de transparence, or, aujourd’hui cette opacité peut en fait être vue comme un atout, car cela les affranchit de la pression des marchés : ils ne sont pas sous la férule du court-terme et n’ont pas à gérer leur portefeuille dans le seul souci d’en optimiser la valeur dans l’instant…contrairement aux hedge funds.
  • Les Chinois investissent dans les grandes banques américaines…cela ne peut que mieux les armer pour bientôt prendre pied dans l’immense système financier chinois qui ne devrait plus tarder à s’ouvrir aux entreprises étrangères.
  • Certains disent qu’ils pourraient se servir de leurs actifs pour attaquer les monnaies occidentales. Cela veut dire que si ces fonds se mettaient tous à vendre leurs titres de créances (dette qu’ils détiennent) ou de propriété (actions) libellés en dollars, le dollar pourraient alors sombrer vers les abîmes les plus profonds, permettant alors à ces mêmes fonds de racheter toute l’Amérique pour une bouché de pain ! C’est impossible, car la Chine, pour ne pas la nommer, détient tellement d’actifs libellés en dollars, que si elle en vendait soudainement une bonne partie, le dollar baisserait tant que la grosse partie restante perdrait instantanément énormément de valeur : la Chine n’a donc aucun intérêt à le faire…

Maintenant les craintes, risques et autres inquiétudes :

  • Il y a autant de politiques menées que de fonds souverains
  • Ne peut-on pas craindre que ces actionnaires longtemps restés passifs ne nourrissent pas en secret une stratégie industrielle ? Et qu’ils se réveillent pour dicter leurs choix stratégiques aux entreprises, soufflés par les Etats qu’ils représentent ?
  • Comme dit Joseph Stiglitz : « Nous devons être très vigilants sur leurs pratiques. Achètent-ils un fabricant de crayons pour son rendement financier ou pour supprimer les crayons ? »

Certains enfin craignent les transferts de technologies…mais ne faut-il pas s’en réjouir, tant que cela ne concerne pas les actifs stratégiques (technologies militaires, infrastructures vitales) ? En effet, les pays du Sud ont un tel retard technologique que dans l’intérêt de tous il serait bon qu’ils le rattrapent au plus vite, et si ces fonds souverains comptaient s’y employer, eh bien tant mieux !

Alors bien sûr, il faut tout de même se méfier : Berlin par exemple entend ainsi pouvoir intervenir, même rétroactivement, contre tout investissement considéré comme étant hostile.

Finalement ne peut-on pas dire que l’entrée de ces fonds souverains dans le capital des grandes entreprises occidentales n’est que le juste retour des choses ? Ce mouvement de balancier n’est-il pas somme toute normal compte tenu de la mondialisation des marchés auxquelles s’adressent justement ces entreprises, et compte tenu de la délocalisation de la production bien souvent d’ailleurs dans ces pays du Sud à forte épargne ? C’est du moins ce que je crois humblement.

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