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Mais pourquoi le pétrole monte-t-il autant ?

mars 23, 2008

Le pétrole ne cesse de monter. Il est actuellement à plus de 100 dollars le baril, cela ne vous parle peut-être pas, mais imaginez juste qu’il était aux alentours de 30 dollars en août 2003! La question est donc immédiate: pourquoi monte-t-il autant? Il faut comprendre que cette hausse est sans rapport aucun avec la demande réelle actuelle, qui ne serait pas suffisamment contentée. Non, cette bulle spéculative est en fait le résultat de trois facteurs:

  • des lois américaines favorisant la spéculation : en 2003 les États-Unis ont voté une loi qui a rendu opaques les transactions financières en ligne sur les marchés du pétrole (loi dite Enron Loophole). Suite à cette loi, les hedge funds (fonds spéculatifs dont la seule finalité est de gérer au mieux un portefeuille de titres dans une optique de très court-terme) sont venus en masse pour spéculer sur le pétrole : ils réalisaient 0.2% des transactions avant la loi, aujourd’hui leur part est de 35%.
  • une abondance de liquidités générées par les pays émergents aux forts excédents commerciaux, au premier rang desquels la Chine. Face à une offre médiocre d’actifs où placer leurs devises et un dollar en chute libre, ces agents économiques fuient les actifs américains et se rabattent sur des valeurs qu’ils estiment de plus en plus sûres: les matières premières, pétrole y compris. [1]
  • une instabilité géopolitique chronique qui perdure depuis l’invasion américaine de l’Iraq. Alors qu’Alan Greenspan (ancien président de la fed, la Banque Centrale américaine) admet que cette guerre avait surtout pour objectif de mettre la main sur le pétrole, il est cocasse de constater que la terrible hausse des prix qui en a découlé dessert en fin de compte les intérêts américains, grands consommateurs de pétrole. Tel est pris qui croyait prendre. D’ailleurs, pendant qu’ils envahissent l’Iraq à la recherche d’armes qui n’existent pas, la Corée du Nord se dote de l’arme nucléaire, tandis que l’Iran et le Vénezuela, entités hostiles à l’administration Bush, s’imposent en puissances régionales incontournables, raffermies par un pétrole cher. Même en prenant en compte l’appétit grandissant de la Chine, aucun expert en 2003 n’aurait pensé à un pétrole dépassant les 100 dollars. La guerre a fait le reste. [2]

Ainsi, entre les producteurs et les consommateurs finaux, le pétrole peut par exemple changer de nombreuses fois de mains du fait de la spéculation : les agents économiques spéculent à la hausse ou à la baisse sur les hydrocarbures matérialisés financièrement par des contrats à terme (le fait d’acheter des « options », c’est-à-dire le droit d’acheter ou de vendre du pétrole à une date future donnée à un prix fixé d’avance), ce qui expliquent un prix aussi élevé, et du reste aberrant compte tenu de la demande actuelle en pétrole qui est tout à fait satisfaite par l’offre (si bien que les pays membres de l’OPEP n’envisagent pas d’augmenter leur production).

Cette spéculation financière nuit à l’économie réelle. Les États-Unis en pâtissent largement, l’Europe moins grâce à un euro fort. Mais les plus touchés dans notre économie de plus en plus mondialisée sont encore une fois les pays pauvres. En effet, ces pays ont besoin de plus de pétrole pour chaque dollar de PIB développé, on dit que leur économie est à forte intensité énergétique [3]. Afin de soutenir leur économie, les pays pauvres et émergents subventionnent donc l’essence, cependant ils sont de moins en moins en mesure de le faire, et ces aides rongent les budgets et empiètent sur les projets d’investissement de long terme en infrastructures et en éducation. Ces choix dans l’allocation de budgets déjà insuffisants ont déjà conduit à des émeutes comme au Cameroun ou au Burkina-Faso, des pays qui on besoin de tout sauf d’instabilité politique. Ainsi l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie) rapporte que pour un certain nombre de pays d’Afrique, l’annulation de la dette a déjà été plus que compensée par la hausse des prix du pétrole.

Ces pays subissent de plein fouet les effets d’une spéculation et d’une incertitude géopolitique auxquelles ils sont étrangers. À partir du moment où les actions des uns ont des conséquences sur la vie des autres naît une interdépendance d’où jaillit le besoin irrépressible d’une action collective et démocratique, garante des intérêts de tous. C’est encore cette mondialisation politique qui se fait ici désirer, dans un contexte d’une part d’unilatéralisme militaire désastreux d’un certain Etat et d’autre part de spéculation rendue possible par des règles édictées par ce même Etat dont le leadership économique a fait de sa bourse le principal hôte du marché du pétrole.

Enfin ultime précision, entendons-nous bien, à long terme il est clair que la demande mondiale croissante finira par justifier des prix élevés, très élevés même (si bien qu’ils pourraient rendre prohibitifs les voyages en avion du fait des prix du kérosène), mais pour l’instant l’offre actuelle est suffisante ! Les prix du moment sont donc déconnectés de toute rationalité économique. Nous pouvons juste dire pour conclure cette analyse que s’ils se maintiennent, ils auront au moins le mérite de précipiter le passage à l’après-pétrole en incitant les agents économiques à trouver d’autres sources d’énergie plus accessibles…et moins polluantes !

Venez lire l’appel du 18 janvier 2008 et signer la pétition pour une mondialisation plus juste

[1] l’indice qui mesure la demande mondiale de navires pour transporter des marchandises (le Baltic Dry Index) s’est effondré depuis l’automne dernier, résultat de la chute du fret maritime, et donc du ralentissement économique mondial, alors que paradoxalement les prix des matières premières ne cessent de flamber : on est bien en présence d’une bulle spéculative !

[2] Joseph E. Stiglitz (prix Nobel d’économie 2001) et Linda Bilmes, dans leur dernier livre « The Three Trillion Dollar War » estiment que la part de la hausse du baril due à la guerre, dans une hypothèse vraiment basse, est de 10 dollars.

[3] Cela s’explique par un secteur industriel plus important que dans les pays développés tertiarisés, par des infrastructures moins efficaces et donc plus gourmandes en énergie ainsi que par une moins grande diversification du bouquet énergétique (la France avec le nucléaire est l’exemple même d’une diversification réussie)


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