La victoire en Afghanistan ne passera pas que par la guerre. D’ailleurs comment gagner militairement ce conflit avec 70 000 hommes là où les Soviétiques ont échoué de 1979 à 1989 avec 100 000 hommes, avec la force et la brutalité dont on les imagine capables. Les frappes américaines sont contreproductives du fait de leur imprécision intrinsèque : elles causent des bavures meurtrières, du pain béni pour les Talibans.
Le comble dans cette tragédie, c’est que la solution, les Américains les premiers l’ont entre les mains depuis le début ! Je parle du soft power, ou plus précisément de l’utilisation des médias pour gagner le cœur des Afghans, tâche à première vue impossible, à première vue seulement. Il faut à tout prix rendre populaire l’action de la coalition. La besogne est en fait double : capitaliser d’une part sur les régions stabilisées pour leur faire connaître un décollage économique, en investissant dans les infrastructures de base nécessaires pour attirer les capitaux privés et en y mettant en place des institutions de micro finance. D’autre part se donner la mission de gagner la guerre de l’information dans les zones instables. Pour cela, nul besoin d’exagérer, la vérité suffira. À condition qu’elle soit entendue. Il faut donc permettre aux populations des zones tribales d’entendre ce que le gouvernement de Karzaï a à dire. Et pour cela, deux étapes :
1. Il faut premièrement équiper le plus possible d’Afghans de ces contrées de téléviseurs peu gourmands en énergie, livrés avec un groupe électrogène compact, ou mieux avec des cargaisons de piles régulièrement approvisionnées dans les villages. Téléviseurs reliés par satellite aux chaînes gouvernementales, voire à certaines chaînes occidentales qu’il faudra bien sûr prendre soin de sous-titrer. Il faudra équiper au moins chaque village, au mieux chaque foyer. L’idéal étant que ce soit fait dans chaque foyer, car une seule « salle TV » par village pourrait constituer une cible de choix pour d’éventuels attentats. Cela peut paraître un dispositif onéreux, mais qui l’est finalement beaucoup moins qu’une guerre totale ô combien dispendieuse et vouée à l’échec !
2. Ensuite, dans une deuxième étape, il faudra diffuser sur ces ondes des programmes dont les Afghans sont culturellement friands (les séries et films de Bollywood) en alternance avec des reportages sur les progrès réalisés dans les zones stabilisées. Reportages du type de ceux que faisaient justement au Japon au lendemain de la seconde guerre mondiale les Américains, en associant leurs meilleurs réalisateurs aux autorités japonaises. Ces reportages devront éveiller ces exclus de la paix aux perspectives radieuses qui s’offrent à leurs compatriotes des zones stables. Il ne faudra pas hésiter à diffuser des séries américaines, meilleures vitrines du confort moderne, pour montrer à ces populations ce que la coalition veut leur apporter et dont profitent déjà une classe moyenne asiatique qui se comptent en centaines de millions, toujours plus nombreuse, une classe moyenne née de ce vent de modernité qui touche enfin le continent : cela d’abord été le Japon puis les quatre dragons asiatiques (Taïwan, Corée du Sud, Singapour et Hong-Kong), maintenant la Chine et l’Inde, l’Indonésie, le Vietnam et demain le Pakistan… alors pourquoi pas eux aussi, les Afghans ? Il faudra de plus escorter dans ces villages des habitants des zones expérimentales pour qu’ils puissent raconter de vive voix les bienfaits dont ils bénéficient. De même pour parachever cette œuvre de persuasion, des habitants des zones instables devront être emmenées dans les régions pacifiées pour témoigner au retour dans leur village de ce qu’ils auront vu de leurs propres yeux. Et ce afin de certifier que ce que leur téléviseur raconte n’est pas que pure propagande occidentale. Il faudra aussi se servir de ce pouvoir médiatique pour diaboliser les Talibans à leur juste valeur, en se contentant de rapporter leurs exactions. J’ai par exemple entendu que plusieurs médecins avaient été décapités pour avoir vacciné des enfants, ce qui est contraire à leur charia ! Qui le sait ?…Ces bavures, qui n’en sont pas puisqu’il s’agit là d’atrocités préméditées doivent être révélées dans tous les villages Afghans, à chaque fois qu’elles surviennent! De même chaque bavure américaine doit être reconnue, indemnisée et faire l’objet d’excuses solennelles proférées à la télévision.
Ainsi seulement pourra être gagnée la guerre de l’information.
Je voudrais conclure en prenant l’exemple de la communauté Tamoule. Les Tamouls sont capables du pire, ce sont eux qui ont remis au goût du jour les attentats suicides et non pas les Palestiniens ou le Hezbollah. Cela date de 1956 et du conflit opposant Tamouls et Cingalais au Sri-Lanka. Les Tamouls sont 3.1 millions au Sri-Lanka….mais 62 millions en Inde, dans le Tamil Nadu. Une petite portion de cette communauté a peut-être fait le choix de la violence, mais une large majorité en a fait un autre : celui de la marche vers la modernité. Un homme politique proposait par exemple, comme slogan de campagne, de donner à chacun de ses électeurs des postes de télévision ! « Aujourd’hui la télévision c’est plus qu’un divertissement, c’est un moyen d’information sur les questions de santé, sur le débat politique et sur les questions de société en général » disait-il. Les Tamouls d’Inde ont sans doute apporté leur assentiment aux Tigres Tamouls sri-lankais dans leur combat, à ses débuts du moins, mais maintenant ils réprouvent largement ce choix des armes, ils ne peuvent que plutôt célébrer avec le reste de l’Inde leur propre entrée dans la modernité, permises par leur tentative de s’appliquer plus ou moins parfaitement les 7 canons du développement économique mis en évidence par les Occidentaux et rapportés brillamment par Kishore Mahbubani dans son excellent ouvrage, « The new Asian Hemisphere » : l’économie de marché, la promotion des sciences et de la technologie, la méritocratie, la culture de la paix, l’état de droit, l’éducation et le pragmatisme. Ainsi par exemple on ne compte plus les mathématiciens géniaux qu’a produits cette région de l’Inde qui ne représente pourtant que 5% de la population indienne.
Gageons donc que les zones stabilisées de l’Afganistan, à l’image du Tamil Nadu, puissent connaître la réussite, pour mieux déteindre dans le reste du pays !
Source : pour l’exemple final Tamoul, « The new Asian Hemisphere », de Kishore Mahbubani, à mettre entre toutes les mains, un des ouvrages fondateurs du XXIème siècle à mes yeux, en rupture de stock sur Amazon, c’est dire.