…suite et fin de l’article la Chine colonise-t-elle l’Afrique? (2/3)
Notre orgueil occidental conduit certains à dénoncer les dangers de cette Chine colonisatrice, qui reproduirait à bien plus grande échelle, avec les moyens industriels d’aujourd’hui et au mépris de l’environnement, les erreurs passées des Européens…qui prétendent maintenant se racheter une conduite en conditionnant leurs aides à des progrès dans la gouvernance et le respect des droits de l’homme.
Soyons clair : il y a du tout à fait bénéfique et du véritablement délétère dans l’action diplomatico-économique de la Chine en Afrique. Pour s’en faire une idée, plutôt que de s’épancher en une litanie de phrases bien tournées, énonçons plus sommairement les avantages et les inconvénients de cette Chinafrique ! Chacun sera alors à même de s’en faire une idée librement !
Les avantages :
- Le financement et la construction clef en main de nombreuses infrastructures, partout (écoles, hôpitaux, autoroutes, réseau d’épuration et de distribution d’eau, zones résidentielles, etc), dont on connaît les effets multiplicatifs sur le secteur privé. Qui plus est ces projets reviennent moins chers grâce à une meilleure concurrence qui vient battre en brèche les anciennes situations de rente dont jouissaient certaines entreprises comme Bouygues.
- Un pouvoir d’achat d’accru pour les populations africaines grâce aux nombreux produits importés en masse et proposés à un très bon prix
- Une action parfois pacificatrice : en commerçant intensément avec tout le monde, la Chine se pose en intermédiaire efficace, elle a ainsi certainement contribué à calmer les tensions entre l’Egypte et le Soudan autour du débit du Nil. Sa présence au Congo refreine l’élan des rebellions à l’est du pays.
Les inconvénients :
- Un soutien peu regardant apporté à un certain nombre de dirigeants kleptocrates, dictateurs confirmés, autocrates et autres chefaillons… (Mugabe au Zimbabwe, …), une indifférence au respect des droits de l’homme.
- Une complicité flagrante dans certaines tentatives de putsch (contre Idriss Déby au Tchad par exemple)
- La destruction de l’artisanat local et du petit commerce du fait de la déferlante de jouets, biens d’équipements, vêtements et autres objets industriels bons marchés importés massivement de Chine. Ainsi en 2005 le Swaziland, petit pays d’un million d’habitants, a perdu 12 000 emplois dans le textile, soit plus de 40% de ses effectifs sur ce secteur du seul fait de la concurrence chinoise ! Cependant cet inconvénient est en train de devenir un avantage pour certains pays africains: le Sénégal a mis fin à la distribution généreuse de visas aux Chinois tout en s’assurant de l’inverse en Chine, résultat ce sont maintenant les commerçants sénégalais qui y émigrent pour aller y importer directement les marchandises chinoises. Il ya maintenant plus de commerçants sénégalais en Chine que le contraire ! Si ce n’est pas une entrée dans la mondialisation ça !
- La Chine prête des milliards de dollars à l’Afrique mais souvent l’argent ne quitte même pas la Chine, il sert à payer les entreprises chinoises choisies pour réaliser des projets pharaoniques, certes utiles, mais en employant des Chinois (d’où une sous utilisation de la main d’œuvre locale), qui mangent des légumes Chinois, parfois produits par des agriculteurs Chinois que l’on fait venir en Afrique…
- Des normes environnementales largement bafouées, des parcs naturels défigurés par l’exploitation forestière et minière (Gabon, Congo, etc), des dégâts incommensurables par exemple sur le cheptel d’éléphants du fait de la demande chinoise en Ivoire (6000 à 12 000 bêtes seraient abattues chaque année au Soudan, en Centrafrique et au Tchad)
- Des ventes d’armes qui alimentent des guérillas, des milices et des rebellions qui se rendent ensuite responsables d’atrocités et de crimes contre l’humanité. La Chine ne serait certes que le troisième fournisseur d’armes du continent, les Etats-Unis étant les premiers, mais il faut bien voir que même si la vente d’un avion de chasse équivaut peut-être à celle de 300 000 armes à feu, le résultat sur les populations ne sera pas le même. Ainsi seuls 12% des kalachnikovs en circulation dans le monde seraient de fabrication russe ! Le reste étant des faux chinois. De même, une grande portion des centaines de milliers de machettes utilisées lors du génocide rwandais venaient de Chine. Au Liberia, d’énormes stocks d’armes sont parvenus aux mains de Charles Taylor en 2001, en violation totale de l’embargo de l’ONU, en échange …de bois ! Des armes impliquées dans la mort de 300 000 personnes.
- Enfin il faut bien avouer que la Chine reproduit l’équation coloniale : importations de produits primaires (bois, minerais, pétrole, coton, etc) contre exportation de biens industriels (à ceci près qu’aujourd’hui la hausse des cours des matières premières font la richesse de l’Afrique). Ce qui empêche l’Afrique de s’industrialiser. Et comme le soulignent Serge Michel et Michel Beuret : « A certains égards, elle commence à ressembler aux autres acteurs, avec ses cohortes de gardes de sécurité, ses chantiers qui s’enlisent, ses scandales de corruption et quoiqu’elle en dise, son mépris parfois, pour la population locale. »
Conclusion
La Chine met le pied à l’étrier de l’Afrique pour la faire monter sur le destrier de la mondialisation….c’est indéniable. Le renouveau de l’Afrique ne serait envisageable sans la force de frappe chinoise. Si les grands projets d’infrastructures, qui sont ce qu’il y a de plus positifs dans l’action chinoise, se poursuivent, on peut commencer dès maintenant à rêver d’une Afrique pacifiée, unifiée, où les ponts, routes, chemins de fer et réseaux de télécommunications permettront de désenclaver toutes les régions et de faire circuler librement hommes, capitaux, biens, services…et idées !
Là enfin où j’émets une réserve par rapport à la thèse défendue par les auteurs de « La Chinafrique » , c’est qu’ils excluent toute notion de néocolonialisme préméditée (qu’ils ont pourtant largement étayée par des exemples probants rapportés ici) en se contentant d’asséner qu’il n’y a que 900 entreprises chinoises dispersées en Afrique, contre 2000 à Singapour par exemple où la question du néocolonialisme est totalement absente de tout débat. Je crois au contraire qu’on assiste à une certaine forme de néocolonialisme, du moins d’emprise politico-économique, car ces entreprises ne sont peut-être qu’au nombre de 900, mais on y trouve entre autres les grandes compagnies d’Etat qui manient les milliards de dollars et peuvent façonner ce continent vierge à leur guise, en fonction des besoins de l’Empire du Milieu. Les Chinois apportent une aide incommensurable à l’Afrique malgré toutes les menaces sociales et environnementales qu’ils y font peser. Ils mettent les dirigeants africains dans la position inconfortable de leur être redevables de tout plus tard. Qui sait comment tout cela se terminera, à l’heure où certains experts considèrent comme inéluctable une guerre sino-américaine pour les ressources africaines dans les années 2020-20230 !
Sources : La Chinafrique; l’article « La revanche de l’Afrique », par Sylvie Brunel dans le trimestriel janvier 2008 des collections de L’Histoire ; interview de Lionel Zinsou, Le Monde, 30 sept 2007.
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