Haro sur les déficits ! La dette, responsable de tous nos maux ! La dette, à l’origine de la crise ! Place à l’austérité, l’austérité des ménages comme celle des états ! N’empruntons pas lâchement sur le dos de nos enfants !
Voilà le message véhiculé par « l’establishment » en Europe, par l’Allemagne notamment, et par la droite, la gauche et le centre en France…
Il faudrait que tout le monde se serre la ceinture, y compris les états qui comme tout bon foyer, ne devraient pas dépenser au-dessus de leurs moyens…
Voilà le message qui nous est asséné de toutes parts.
Et pourtant…
C’est un mauvais débat, ce n’est pas le sujet le plus important aujourd’hui, et la lutte contre cette dette n’est pas la solution à nos problèmes, au contraire…
Le principal problème aujourd’hui aux Etats-Unis et en Europe, ce ne sont pas les déficits, mais bien la crise et le chômage, sans surprise. Ce chômage est pernicieux, ils touchent surtout les jeunes, près d’un sur deux en Espagne par exemple. Dans certains pays d’Europe, on est au-dessus du taux de chômage constaté aux Etats-Unis pendant la Grande Dépression des années 30 !
Le problème dans une telle situation est que si les consommateurs… consomment moins, soit parce qu’ils ont perdu leur emploi, soit parce qu’ils gagnent moins, soit pour se désendetter, alors les entreprises ne peuvent que vendre moins, et donc investissent moins, quand elles ne licencient pas, bref c’est toute l’économie qui bascule dans une spirale infernale, surtout si l’état n’augmente pas sa « consommation » par ailleurs, pire si lui aussi s’astreint à l’austérité ! Le cercle vicieux est ainsi enclenché.
Nous sommes dans ce que les économistes appellent une situation d’ « inadequate demand », je parle là de ce que disent des économistes réputés, les Prix Nobel d’Economie Joseph Stiglitz et Paul Krugman (voir ici et là). Les entreprises ont beau avoir de l’argent à dépenser et toutes les lois les plus favorables du monde pour investir, elles ne bougeront pas car en face le pouvoir d’achat des ménages est trop faible. Il faudrait qu’elles se mettent toutes à investir et dépenser en même temps, et donc à recruter, ce qui ferait baisser le chômage : le problème est qu’il est quasi impossible de toutes les convaincre de faire ce pas simultanément, la tentation est trop grande de laisser les autres se lancer, et au final personne ne bouge.
La seule réelle solution dans ces conditions pour relancer l’économie, c’est de ressusciter la demande grâce à la dépense publique. On en revient aux bonnes vieilles recettes Keynésiennes qui ont fait la preuve de leur efficacité : les Etats-Unis d’Amérique ne sont véritablement sortis de la Grande Dépression qu’avec la seconde guerre mondiale, quand l’état s’est mis à dépenser, embaucher, investir sans compter pour se préparer au combat. Bien sûr, il ne s’agit pas aujourd’hui d’espérer une guerre pour en finir avec la crise, mais le principe demeure le même, laisser l’état intervenir et dépenser vu que personne n’est disposé à le faire à court terme.
« Mais dépenser quel argent ? Nous n’en avons pas ! »
Non, mais c’est justement l’intérêt de la dette aujourd’hui. La réalité est que malgré tout ce qui se dit, jamais les marchés financiers n’ont été aussi disposés à prêter aux grands états : les Etats-Unis peuvent emprunter à des taux proches de zéro, la France, malgré la dégradation de sa note, peut emprunter à des taux historiquement bas !
C’est un devoir d’emprunter quand les investisseurs désirent vous prêter quasi gratuitement…et quand les opportunités d’investissement au rendement potentiel élevé sont légion ! On pourra se dire rassasié quand tout le monde aura accès à la fibre optique et que les Européens seront aussi « connectés » que les Sud-Coréens, quand les TGV relieront toutes les villes d’Europe, quand tout le monde aura isolé son logement, quand il y aura des bornes pour voitures électriques partout. Et pourquoi ne pas subventionner l’acquisition de smartphones et tablettes par les ménages quand on sait que c’est le préalable à l’explosion de la nouvelle industrie du mobile-commerce et à l’émergence de pléthore de startups pourvoyeuses d’emplois ?
Arrêtons avec cette idée que la dette est nécessairement malsaine ! On voit là l’influence germanique sur nos modes de pensée : en allemand, dette se dit « Schuld » qui signifie aussi…coupable. Dette et culpabilité se mêle sémantiquement en allemand…
Au contraire, la dette peut être vertueuse si elle permet de relancer l’économie, si elle est utilisée pour financer des investissements utiles, notamment dans l’éducation, les infrastructures et la recherche où les retours peuvent être fantastiques.
On a tellement sous-investi dans l’éducation par exemple, que le faire aujourd’hui (avec les bonnes méthodes) pour maximiser le nombre de personnes à même de poursuivre des études supérieures serait des plus rentables pour un pays en termes de recettes fiscales à attendre d’une population mieux éduquée et jouissant de meilleurs salaires.
La dette est utile enfin quand de façon temporaire et circonscrite elle permet de venir en aide aux ménages les plus défavorisés et de stimuler leur consommation, ce qui a pour effet de relancer les entreprises et de les pousser à réembaucher, investir et dépenser à leur tour.
Un chômeur qui reste sans emploi trop longtemps finit par être considéré par les employeurs comme irrémédiablement « inemployable ». Une catastrophe pour l’individu concerné, une perte sèche en capital humain pour le pays. Que l’état s’endette pour financer son maintien ou son retour sur le marché du travail avant qu’il ne soit trop tard, par une baisse momentanée du coût du travail par exemple, est un investissement qui a du sens économiquement parlant, puisqu’il permettra d’éviter qu’un actif ne se retrouve disqualifié définitivement. Celui-ci pourra alors continuer à payer des impôts et consommer, bref contribuer positivement à l’économie du pays.
Enfin ce n’est pas un drame que de faire croître la dette en valeur absolue, si celle-ci permet de générer de la croissance, car au final c’est plus le ratio dette/PIB qu’il faut avoir à l’esprit, et si le PIB croît plus vite que la dette (grâce à l’effet multiplicateur de la dépense publique sur la dépense privée), le ratio peut se maintenir voire diminuer. Qui plus est, qui dit croissance, dit plus de rentrées fiscales et donc moins besoin d’emprunter à terme. Même si l’on s’endette énormément d’un coup (ce qu’il faut faire pour stimuler massivement à court terme l’économie et ainsi sortir de la crise), tant que l’on parvient au moins à stabiliser ce ratio à moyen terme, vivre avec de la dette devient tout à fait possible.
Les Etats-Unis ont une dette qui se rapproche des 100% du PIB, le Royaume-Uni lui flirte avec les 80% et la France tutoie les 90% : on nous prédit l’apocalypse ! En vérité à la fin de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis avaient dépassé les 100%, et le Royaume-Uni les 250%, et rien ne leur est arrivé…ah, si une période de croissance soutenue, sœur de nos 30 glorieuses! En vérité, les grands pays démocratiques qui peuvent emprunter dans leur monnaie n’ont aucun souci à se faire, et peuvent (et doivent) emprunter pour relancer leur économie.
Le problème se pose par contre en Europe pour les petits pays qui parce qu’ils utilisent l’euro ne peuvent pas se servir de l’arme de la dévaluation pour redevenir compétitifs et ainsi faire croître leur économie via les exportations : ces pays qui ne peuvent emprunter qu’à des taux prohibitifs se résolvent à l’austérité et sombrent toujours plus profondément dans la crise.
La solution consiste à mutualiser la dette européenne, c’est-à-dire à permettre en fait à tous les pays européens d’emprunter au même taux, un taux qui serait bien plus bas que celui que ces petits pays connaissent aujourd’hui. Ils seraient en cela subventionnés par l’Allemagne, ce qui n’est possible que si chacun accepte d’abandonner un peu de sa souveraineté budgétaire à des instances fédérales supra-étatiques, ce qui me semble incontournable et souhaitable. Faisons les Etats-Unis d’Europe, pour être plus fort ensemble !
Bref, faisons l’Europe fédérale, et ENDETTONS-NOUS « so as to END THIS DEPRESSION NOW ! »